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Phytoestrogènes : Oui ou non ?


Dans le domaine des suppléments alimentaires et de l’alimentation, il existe peu
de sujets plus controversés que celui des phytoestrogènes. Chacun y va de sa
théorie : l’un dira qu’ils aident à prévenir certains cancers ; l’autre qu’ils aggravent,
voire causent le cancer. Cet article a pour objectif de faire la lumière sur les
diverses allégations et théories qui circulent au sujet des phytoestrogènes en se
basant sur ce qui est actuellement démontré.


Que sont-ils ?

Les phytoestrogènes sont une série de molécules d’origine végétale (« phyto-⁠ »)
ayant plus ou moins d’affinité avec les récepteurs œstrogéniques du corps humain.
Ces molécules sont omniprésentes dans le monde végétal. Elles suscitent l’intérêt
des médias depuis que les femmes cherchent des alternatives aux hormones de
synthèse et, surtout, depuis que des données épidémiologiques ont fait le lien
entre la consommation de soya et la quasi-absence de symptômes de ménopause
chez les femmes asiatiques, principalement au Japon.


Sources de phytoestrogènes

Les études scientifiques ont principalement porté sur le soya, mais la plupart des
légumineuses contiennent des phytoestrogènes. Voici quelques aliments ou plantes
sources de phytoestrogènes :

  • Soya (Glycine max)
  • Trèfle des prés (Trifolium pratense)
  • Graines de lin (Linum usitatissimum)
  • Actée à grappe noire (Actea racemosa)
  • Houblon (Humulus lupulus)
  • Achillée millefeuille (Achillea millefolium)
  • Carotte (Daucus carota)


L’impact œstrogénique des divers aliments sur la santé est fonction de plusieurs
facteurs :
 

  • La puissance œstrogénique des molécules ;
  • La concentration de celles-ci ;
  • La synergie possible entre ces diverses molécules ;
  • La quantité de l’aliment consommé ;
  • La synergie possible de plusieurs aliments ou plantes médicinales ; et
  • Le métabolisme et la flore intestinale de la personne.


Tous ces facteurs peuvent expliquer la très grande variabilité d’effets des
phytoestrogènes sur la personne. D’ailleurs, une bonne partie de la documentation
controversée provient d’études in vitro (en milieu artificiel comme une éprouvette)
effectuées sur une molécule isolée et non sur l’aliment complet.


Indications

Les bénéfices du soya alimentaire sont multiples. Il est utilisé pour soulager
la ménopause, diminuer les facteurs de risque des maladies cardiaques, ainsi
que prévenir l’ostéoporose et certaines formes de cancer.


Ménopause

Soya

L’indication la plus populaire et la plus publicisée du soya est certes la diminution
des symptômes reliés à la ménopause. Par contre, la ménopause n’est pas
l’indication la mieux documentée. L’efficacité du soya à soulager les symptômes
de ménopause est encore controversée.

Nous savons cependant que les suppléments riches en isoflavones (des
phytoestrogènes que l’on retrouve entre autres dans le soya) sont plus efficaces
pour les symptômes (bouffées de chaleur), alors que les aliments complets sont
plus efficaces dans la prévention des complications (ostéoporose, cardiovasculaire).

Trèfle des prés

Le trèfle des prés (parfois appelé trèfle rouge ou trèfle violet) contient les mêmes
isoflavones que le soya. Des études cliniques montrent un effet de réduction des
symptômes de ménopause, une amélioration de la santé vaginale, et une
réduction des symptômes d’anxiété et de dépression. De plus, le trèfle des prés
serait bien toléré chez des femmes ayant eu un cancer du sein.

Interaction entre phytoestrogènes et estrogènes ?

Plusieurs auteurs mentionnent une interaction potentielle entre les isoflavones
et les estrogènes. Selon ces auteurs, les isoflavones pourraient provoquer une
augmentation excessive de l’effet estrogénique. Cette interaction théorique ne
semble pas exister, puisque le phytoestrogène le plus puissant (la génistéine)
n’a en fait que 0,1 % de la puissance de l’estradiol.


Ostéoporose

La consommation régulière de soya semble être associée à une densité osseuse
accrue dans la hanche et la colonne vertébrale. Cette augmentation n’est
toutefois notée que chez les femmes en période de postménopause et non en
préménopause. Le soya semble également prévenir la résorption osseuse.


Cardiovasculaire

L’indication la plus étayée pour le soya et les légumineuses est la prévention et
le contrôle des facteurs de risque de maladie cardiaque. La grande majorité des
données cliniques démontrent un effet de réduction du cholestérol total et du
cholestérol LDL (mauvais cholestérol), ainsi que d’augmentation du cholestérol
HDL (bon cholestérol). Ces résultats proviennent d’études cliniques effectuées
tant sur des hommes que des femmes.


Soya et hommes

Un clin d’œil aux mâles de notre société est utile pour mieux comprendre les
effets de la consommation de soya. En effet, si les phytoestrogènes étaient bel
et bien des œstrogènes au même titre que l’estradiol, leurs effets sur les
hormones et la fertilité des hommes seraient fort redoutables. Cependant, la
consommation de soya ne semble pas causer d’effet néfaste chez les hommes.
Dans une étude, aucun effet négatif n’a été rapporté, ni sur les taux d’hormones,
ni sur la qualité du liquide séminal, malgré des doses élevées (jusqu’à 70 mg par
jour) d’isoflavones de soya.

Au niveau épidémiologique, les Japonais souffrent moins du cancer de la prostate
que les Nord-Américains. La prévalence par 100 000 hommes est de 157,4 pour
les Canadiens, 149,5 pour les Américains, et seulement 90,9 pour les Japonais.
Une fois encore, le soya est mis en cause. Il aurait un effet chémoprotecteur via
une activité hormonale, et il inhiberait partiellement l’enzyme qui transforme la
testostérone en une hormone plus puissante (la dihydrotestostérone ou DHT)
au niveau des cellules de la prostate.


Cancer

Le point focal de la controverse entourant les phytoestrogènes est bien la sécurité
de ces produits chez les personnes avec un historique de cancer. Une question
revient constamment : le soya peut-il accroitre le risque de cancer du sein ?

Le soya et ses isoflavones ne sont pas contrindiqués en cas de cancer. D’ailleurs,
la consommation de 65 à 132 mg d’isoflavones de soya augmente la concentration
d’un métabolite protecteur contre le cancer (le 2-⁠hydroxyestrone).

À ce jour, la très grande majorité des études épidémiologiques et cliniques
démontrent que la consommation de soya a un effet préventif sur le cancer,
notamment sur les cancers du sein et du côlon. L’effet préventif du soya se
manifeste avant la ménopause. Aucune étude n’a démontré d’effet préventif
notable après la ménopause.

La consommation de soya alimentaire semble réduire le taux d’hormones
circulantes, ce qui pourrait expliquer pourquoi le soya alimentaire aurait un
effet préventif du cancer plus marqué chez les femmes préménopausées
que chez les femmes postménopausées. Cet effet serait attribuable aux
isoflavones ainsi qu’à d’autres composés du soya, comme les fibres et les
protéines. Effectivement, le soya alimentaire est beaucoup plus complexe
que la somme de ses isoflavones isolées.

Il faut noter au passage que la consommation moyenne de soya chez les femmes
nord-américaines correspond à environ 3 mg par jour d’isoflavones, alors qu’elle
se situe entre 15 et 30 mg par jour chez les femmes asiatiques. Ceci étant dit,
l’étude Bay Area Breast Cancer Study n’a pas trouvé de lien entre la consommation
de soya et une augmentation de l’incidence de cancer du sein chez les femmes
californiennes. Dans la même région, des chercheurs ont montré un lien entre la
consommation de soya et la diminution du risque de cancer de la thyroïde.

D’autres chercheurs ont orienté leur travail sur les cancers du tractus urinaire.
Dans ces cas, le soya semble avoir un effet préventif en augmentant l’apoptose
(mort programmée des cellules) et en altérant l’angiogenèse (processus de
formation des vaisseaux sanguins).
 




Mécanismes d’action des isoflavones

Plusieurs mécanismes d’action possibles peuvent expliquer les effets des
isoflavones. Il est important de noter que beaucoup d’études ont porté sur
la consommation d’aliments à base de soya plutôt que sur des isoflavones
purifiées.

Les mécanismes d’action comprennent :

  1. Inhibition de l’enzyme protéine tyrosine kinase (PTK) ;
  2. Liaison avec les récepteurs à œstrogène ;
  3. Inhibition de production de radicaux libres d’oxygène ;
  4. Induction de l’apoptose par bris des segments d’ADN ;
  5. Inhibition de l’angiogénèse ;
  6. Modulation des protéines transporteuses de stéroïdes (sex steroid binding
    protein) ;
  7. Inhibition de l’enzyme
  8. 5-⁠alpha-réductase ;
  9. Inhibition de la sulfatation par la phenolsulfotransferase (PST) de forme P ;
  10. Inhibition de la formation de thrombine et de l’activation des plaquettes ; et
  11. Augmentation de l’activité des récepteurs à LDL.


Graine de lin

La documentation scientifique sur la graine de lin est nettement moins abondante
que celle sur le soya. La graine de lin ne contient pas les mêmes phytoestrogènes
que le soya. Ses lignanes ont des effets bénéfiques sur le métabolisme hormonal
et diminuent le risque de cancers hormonodépendants. La graine de lin est
également utile en prévention des maladies cardiovasculaires et du syndrome
métabolique (diabète, etc.). De plus, le lin fournit des acides gras essentiels de
type omégas-⁠3 et des fibres solubles. La consommation de graine de lin moulue
améliore par ailleurs le profil lipidique. Il est également bon de savoir que ses
effets bénéfiques ne sont pas altérés par la cuisson dans les aliments comme le
pain. En bref, la graine de lin est un aliment intéressant comme préventif du
cancer et des maladies cardiaques.
 

Conclusion

Quoique les études aient surtout porté sur le soya et ses isoflavones, les
phytoestrogènes se retrouvent dans plusieurs aliments. Les bénéfices des
aliments contenant ces molécules sont indéniables, et aucun risque pour la
santé n’a été démontré. De plus, une méta-analyse regroupant de
nombreuses études cliniques arrive à la conclusion que les phytoestrogènes
n’aggravent pas les cancers hormonodépendants.



 Jean-Yves Dionne

 Pharmacien, formateur, consultant clinique, et conseiller
 scientifique en produits de santé naturels (PSN), il
 enseigne à l’Université de Montréal et à l’Université de
 Laval.

 www.jydionne.com