Le mythe protéique : Comment font les végétariens pour obtenir assez de protéines ?
« Les végétariens manquent de protéines, puisque les protéines végétales sont difficiles à digérer. »
« Les protéines végétales sont de moins bonne qualité que les protéines animales. »
« Je connais des gens qui sont tombés malades après être devenus végétariens. »
« Les végétariens manquent de protéines, puisque les protéines végétales sont difficiles à digérer. »
« Les protéines végétales sont de moins bonne qualité que les protéines animales. »
« Je connais des gens qui sont tombés malades après être devenus végétariens. »
Ces arguments, parmi d’autres, sont couramment utilisés par les critiques du régime végétarien ou végane, pour insinuer que la personne qui devient végétarienne aura des carences en protéines. Les protéines sont un nutriment sur lequel les gens font une fixation dès que l’on aborde le sujet d’un régime plus végétal. Cet article va tenter de répondre à quelques-unes de ces questions.
Mon opinion est que les végétariens ne sont pas voués aux carences protéiques simplement parce qu’ils sont passés d’un régime omnivore à un régime entièrement végétal. Contrairement à la croyance populaire, les aliments carnés ne sont pas une source de protéines indispensable. C’est là une croyance traditionnelle qui relève, comme c’est souvent le cas, du mythe et non des faits.
L’apport en protéines des végétariens peut être semblable à celui des nonvégétariens
Il existe des données indiquant que le contenu protéique des régimes végétarien et non-végétarien n’est pas si différent. Une très vaste étude portant sur 71 751 personnes a par exemple été entreprise dans le cadre du projet « Adventist Health study 2 ». Les chercheurs ont utilisé ces données pour comparer l’apport en nutriments de plusieurs types d’alimentation, dont divers types de végétarisme. Ils ont trouvé que l’apport protéique alimentaire global des semivégétariens, pescovégétariens, lactoovovégétariens, et même des végétariens stricts, n’était pas significativement différent de celui des non végétariens [1]. Ce que montre cette très grande masse de données, c’est que l’apport protéique d’une personne ne diminue pas forcément après qu’elle soit passée au végétarisme strict.
En lisant cela, on peut penser que ces données ne signifient pas grand-chose, et les sceptiques répondront sans tarder que « les protéines végétales sont dépourvues des acides aminés essentiels » ou qu’elles sont « moins assimilables que les protéines animales ». Nous examinerons ces remarques plus loin, mais il faut déjà répondre aux questions telles que : « Où trouvez-vous vos protéines ? ». Le présupposé, avec ce genre de question, est qu’il n’existe pas de sources de protéines en dehors des aliments carnés — ce qui est évidemment faux, comme le montrent les résultats de l’étude. Même les véganes ont un type d’alimentation dont l’apport protéique est similaire à celui des non végétariens. Rappelez-vous que les véganes ne consomment ni œufs ni produits laitiers. Mais les légumes secs, les légumes verts, les fruits, et les céréales qu’ils mangent leur fournissent les protéines dont leur corps a besoin.
Le régime végétarien peut avoir la même qualité protéique que le régime non végétarien
Comme nous l’avons vu, l’une des préoccupations au sujet des sources végétales de protéines est la qualité de ces dernières. La plupart des aliments d’origine animale contiennent ce que l’on pourrait appeler des protéines de « haute qualité ». Cela signifie que votre steak, votre hamburger, vos ailes de poulet, etc., contiennent tous les acides aminés essentiels en grande quantité. Certains prétendent que les protéines végétales sont de moindre qualité, parce qu’elles ont peu ou pas d’acides aminés essentiels. Ce que l’on a du mal à comprendre, c’est que les protéines végétales disposent aussi des acides aminés essentiels, même si c’est en plus faible quantité dans certains cas [2]. La lysine, par exemple, est un acide aminé dont le taux est assez faible dans les céréales. Les légumineuses sont pauvres en méthionine [2][3]. Mais qui ne mange que des céréales toute la journée ? Quel végane ne consomme que des légumineuses ? Pour celui qui associe les légumineuses, par exemple, à d’autres aliments, la qualité sera « comparable aux protéines d’origine animale » [3]. Et il en va de même pour les autres sources de protéines végétales. Avec un régime végétarien varié, on dispose de tous les acides aminés essentiels dont l’organisme a besoin. Il faut également souligner que le soja, le quinoa, et l’amarante contiennent des quantités importantes de tous les acides aminés essentiels [2]. Les végétariens et les véganes feraient bien d’intégrer ces aliments à leur régime. Supposer qu’on manquera d’acides aminés essentiels si l’on est végétarien est bien un mythe.
Digestibilité
Un autre argument souvent évoqué est la plus faible digestibilité des protéines végétales. La méthode d’évaluation appelée score chimique corrigé de digestibilité (SCCD) des protéines rend compte non seulement de la quantité d’acides aminés des aliments, mais aussi de notre capacité à les digérer. Pour faire simple, même si un aliment contient beaucoup de protéines, il aura finalement peu de valeur si celles-ci ne se digèrent pas facilement, et si les acides aminés sont difficiles à extraire. Quel intérêt aurait un rayon rempli de sucreries pour un enfant qui ne pourrait pas s’en approcher ? La quantité n’a pas grande valeur si elle est difficile à obtenir. Cela montre que le SCCD doit être pris en compte, et explique que les critiques s’y réfèrent.
Les protéines d’origine végétale sont-elles plus difficiles à digérer que les protéines animales ? La réponse est « oui », sans conteste. Le SCCD des protéines animales est proche de ou égal à 1 (le score le plus élevé), ce qui signifie que les protéines d’origine animale sont très facilement digérées. Pour leur part, les protéines végétales ont généralement un SCCD plus faible. Les acides aminés sont plus faciles à extraire d’un aileron de poulet que d’une salade. Une exception peut être faite pour le soja, qui a un SCCD proche de 1.
L’incompréhension qu’ont parfois certains est de supposer qu’un SCCD plus faible signifierait une « carence protéique », en sautant à la conclusion que le score plus faible des protéines végétales impliquerait qu’un régime végétarien ou végane entraine une carence en protéines. Il s’agit d’un raisonnement erroné et absurde. Le fait que le SCCD est plus faible ne veut pas dire que tout le régime est carencé, mais simplement que le SCCD des protéines végétales est plus faible. Le SCCD ne prend pas en compte le contexte global de l’alimentation quotidienne de la personne, mais n’évalue que les sources individuelles. Les végétariens et les véganes peuvent couvrir leurs besoins protéiques grâce à une alimentation variée comportant diverses sources de protéines, et un apport calorique adapté [4].
L’exposé de principes le plus récent de l’Académie de nutrition et de diététique, publié en 2016, établit sans équivoque qu’un régime végétarien ou végane bien équilibré peut suffire à couvrir les besoins protéiques. Les auteurs de l’exposé précisent que :
« Les régimes végétariens, y compris le régime végane, couvrent généralement, voire dépassent, l’apport recommandé en protéines, si l’apport calorique est suffisant. Les mots “suffisant” et “insuffisant” sont trompeurs en ce qui concerne les protéines végétales. Les protéines tirées de divers aliments végétaux mangés au cours de la journée fournissent tous les acides aminés indispensables (essentiels) en quantité suffisante, si les besoins caloriques sont couverts. La consommation régulière de légumineuses et de soja assure l’apport protéique nécessaire aux végétariens, tout en apportant d’autres nutriments essentiels. [4] »
Si certaines personnes tiennent à soutenir que les protéines animales sont plus « complètes » et plus digestes, pas de problème. Si elles disent qu’il y a davantage de protéines dans les sources animales, c’est sans doute vrai. Si elles concluent que l’alimentation carnée est la façon la plus facile d’avoir des protéines, elles ont peut-être raison. Pour autant, ne donnons pas l’impression que les végétariens et les véganes seraient carencés en protéines : ce n’est pas le cas.
La faute au régime alimentaire, ou à sa mise en œuvre ?
Même si l’on montre qu’un végétarien peut couvrir les besoins en protéines, les critiques trouveront inévitablement des exemples montrant le contraire. Il arrive souvent aux critiques de citer des personnes qu’ils connaissent, qui sont devenues végétariennes et qui ont trouvé que « ça ne marchait pas » pour elles. L’implication, explicite ou sous-entendue, est que ces échecs sont une sorte de preuve que cette approche ne fonctionne pas. L’impression qui en ressort est celle-ci : « J’entends bien ce que vous me dites à propos des végétariens qui recevraient assez de protéines, mais mes exemples vous contredisent ». On tire, à partir d’un exemple isolé, une règle générale, ce qui revient à dire : « Voilà pourquoi vous ne devez pas devenir végétarien ».
Ce raisonnement comporte pourtant plusieurs erreurs :
Les exceptions particulières ne contredisent pas la règle générale : si nous comprenons les difficultés bien réelles auxquelles peuvent être confrontés ceux qui changent de régime alimentaire, les exceptions ne contredisent pourtant pas ce que dit la science en général. En l’occurrence, un végétarien peut absorber suffisamment de protéines et avoir une vie saine et active.
La faute est mise sur le compte de l’alimentation, et non sur celui de la personne : sans être insensible, on doit pourtant souligner que la réussite d’un mode de vie dépend généralement de l’interaction entre la personne et ce mode de vie particulier. Dans certains cas, celui-ci est si extrême que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que même les efforts et la persévérance ne permettent pas de l’atteindre ou de le maintenir. Ça peut être le cas d’une alimentation à base de fruits ou de jus. Parfois, pourtant, l’objectif est raisonnable et dans les limites du possible, mais la personne et d’autres variables seront des facteurs déterminant l’échec de la tentative. Bien qu’il existe des exemples de personnes n’ayant pas trouvé dans le régime végétarien ce qu’elles en attendaient, ou ayant rencontré des difficultés, il ne faut pas en conclure pour autant que la faute revient au régime – car bien d’autres facteurs peuvent être en cause. Des chercheurs polonais disent un peu la même chose dans leur étude des régimes végétariens :
« D’autres études ont souligné que seule une alimentation végétarienne bien équilibrée est bonne pour la santé. Lorsqu’un régime végétarien est inefficace, il est probable que des erreurs diététiques ont été commises au moment de son adoption. [5] »
Pour chaque exemple d’échec, il y a beaucoup d’exemples de réussite : bien des végétariens ont des vies dynamiques. Des études sur les végétariens montrent qu’ils augmentent leurs chances de mener une vie plus saine. Des études à grande échelle révèlent que les végétariens ont significativement moins de risques d’être victimes des principales maladies chroniques actuelles, dont le diabète, les affections cardiaques, l’hypertension, et même certains cancers [6]. Si l’on regarde les secteurs géographiques connus sous le nom de « zones bleues » (secteurs comportant le plus grand nombre de centenaires), la zone bleue californienne, à Loma Linda, a une grosse proportion de végétariens et de véganes [7]. Et au sein de cette zone bleue, les végétariens vivent plus longtemps que les non végétariens [8].
Conclusion
Les régimes végétarien et végane ont le vent en poupe. Avec eux se pose la question des carences nutritionnelles pouvant résulter de la suppression des aliments carnés. Si certaines préoccupations peuvent être fondées, mon opinion est que le problème fréquemment évoqué d’une carence en protéines est souvent exagéré, et trop souvent présenté comme un fait, malgré les données scientifiques indiquant le contraire. Il y a bien sûr des personnes à qui un régime végétarien ou végane ne convient pas. Mais l’idée que l’on ne puisse pas trouver de protéines ailleurs que dans les sources animales ne résiste pas à l’analyse. Il est grand temps de mettre fin au mythe protéique.
Références
- Rizzo, N.S., et autres. « Nutrient profiles of vegetarian and non vegetarian dietary patterns. » Journal of the Academy of Nutrition and Dietetics, Vol. 113, No. 12 (2013): 1610–1619.
- Marsh, K.A., et autres. « Protein and vegetarian diets. » Medical Journal of Australia, Vol. 199, No. 4 Suppl. (2013): S7–S10.
- Cruchet, S., Y. Lucero, et V. Cornejo. « Truths, myths and needs of special diets: Attention-deficit/hyperactivity disorder, autism, non-celiac gluten sensitivity, and vegetarianism. » Annals of Nutrition & Metabolism, Vol. 68 Suppl. 1 (2016): 43–50.
- Melina, V., W. Craig, et S. Levin. « Position of the Academy of Nutrition and Dietetics: Vegetarian diets. » Journal of the Academy of Nutrition and Dietetics, Vol. 116, No. 12 (2016):1970–1980.
- Pilis, W., et autres. « Health benefits and risk associated with adopting a vegetarian diet. » Roczniki Państwowego Zakładu Higieny, Vol. 65, No. 1 (2014): 9–14.
- Le, T.J., et J. Sabaté. « Beyond meatless, the health effects of vegan diets: Findings from the Adventist cohorts. » Nutrients, Vol. 6, No. 6 (2014): 2131–2147.
- Buettner, D. The Blue Zones solution: Eating and living like the world’s healthiest people. Washington, National Geographic Society, 2015, 320 p., ISBN 978-1426216558.
- Fraser, G.E., et D.J. Shavlik. « Ten years of life: Is it a matter of choice? » Archives of Internal Medicine, Vol. 161, No. 13 (2001): 1645–1652.